Blog des Collectivités Locales Marocaines, actualités , réflexions et polémiques

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Entretien avec Dr. Najat Zarrouk directrice de la formation à la DGCL

Najat Zarrouk, directrice de la formation des cadres administratifs et techniques au ministère de l’Intérieur. Titulaire d’un doctorat d’Etat en droit public en 2005, elle est également titulaire d’un DES en droit public de la faculté de droit de Rabat (1995), d’un diplôme du cycle supérieur de l’Ecole nationale d’administration de Rabat (1991/1993), d’un diplôme de l’Université d’Aix-Marseille III en développement régional (1991) et d’une maîtrise de la Sorbonne en études internationales, européennes et comparatives (1990). Elle a occupé le poste de directrice des affaires juridiques, des études, de la documentation et de la coopération en 2003. Dr. Najat Zarrouk. Le Matin : Avec l’USAID, le ministère de l’Intérieur a initié un plan de formation des élus sous forme de forums. Quelle est l’importance de ce plan de formation et quels sont ses objectifs ? Dr. Najat Zarrouk : Le ministère de l’Intérieur a signé, en février 2010, un accord de partenariat et de coopération avec l’USAID visant la promotion de la participation accrue des citoyens, en particulier les femmes et les jeunes, à la gouvernance locale avec une composante information, formation, sensibilisation et renforcement des capacités au niveau local. Trois régions bénéficient de ce programme en priorité, à savoir la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, la région de Doukkala-Abda et la région de Fès-Boulemane. Avez-vous procédé à une évaluation de ce qui a été fait en matière de formation et de renforcement des capacités des élus ? Les élus locaux disposent d’une multitude d’opportunités et d’espaces pour renforcer leurs capacités, pour se former et pour échanger les expériences et les bonnes pratiques, notamment à travers leurs partis politiques, les associations d’élus (souvent partisanes), les Associations nationales des collectivités territoriales (dont l’Association nationale des collectivités locales du Maroc), la société civile, les agences de développement, l’INDH, la coopération décentralisée, qu’elle soit interne ou internationale, etc. Au niveau du ministère de l’Intérieur et grâce à l’appui de la coopération française (Projet d’appui à la décentralisation), une étude a été réalisée entre 2006 et 2009 visant la mise en place d’un schéma directeur de formation pour les collectivités locales (élus locaux et fonctionnaires). Elle s’est basée sur une enquête d’envergure ayant couvert toutes les catégories de collectivités locales, les syndicats, les autorités centrales et locales, les centres de formation, soit plus de 2000 questionnaires administrés et exploités ainsi que des entretiens au niveau central et territorial. Sur cette base, trois réformes majeures ont vu le jour avec la création d’un Service de l’Etat géré de manière autonome (SEGMA) au niveau de la DFCAT pour assurer le financement de la formation au profit des collectivités locales; l’élaboration d’un plan stratégique visant 4 orientations stratégiques, à savoir la promotion d’une offre de formation pour développer les métiers et les compétences au niveau des collectivités territoriales; le développement d’une approche qualité de l’ingénierie de la formation et la construction d’un modèle économique équilibré du financement de la formation; le développement d’une gestion axée sur les résultats, en termes de performance, de professionnalisme, de bonne gouvernance et de développement local et, enfin, l’élaboration d’un catalogue de formation des collectivités locales couvrant tous les aspects de la gouvernance locale et visant à la fois les élus locaux et les fonctionnaires de ces entités. Quelles sont les nouvelles attributions par rapport à la Constitution qui met en avant l’autonomie financière et administrative des collectivités locales ? C’est le chantier sur lequel planche actuellement le ministère de l’Intérieur pour doter la décentralisation d’un nouveau cadre juridique prenant en compte l’évolution de ce processus bien entendu depuis les années 1960 (date de la première charte communale), mais aussi et surtout toutes les dispositions incluses dans la nouvelle Constitution, en particulier le principe de subsidiarité, le principe de la libre administration, la régionalisation avancée, la bonne gouvernance, les services publics la responsabilité, la transparence et la reddition des comptes. On en parle beaucoup, mais peu de gens savent quel est le rôle d’un élu local ? Le mandat d’un élu local est tout d’abord un mandat basé sur le volontariat. On entend consacrer un peu de son temps pour se mettre au service de sa commune, de sa préfecture, de sa province ou de sa région. C’est la loi qui définit les attributions, les compétences et les pouvoirs des élus locaux, sachant que la décentralisation au Maroc représente un choix irréversible en tant qu’affirmation des libertés individuelles et collectives et comme traduction de la démocratie locale et de la démocratie de proximité. Comme disait Alexis de Tocqueville, « c’est […] dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science; elles la mettent à la portée du peuple […] Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté ». C’est aussi un choix qui trouve ses racines profondes dans les préceptes de l’Islam (Le verset Achourra souligne « leurs affaires sont l’objet de concertation entre eux », on peut y puiser le fondement même du pouvoir délibératif qui échoit aux assemblées locales), de l’histoire ancestrale de notre pays, de l’inspiration de modèles étrangers et des choix opérés depuis l’indépendance. Sur cette base, un élu local est censé porter la voix de ceux qui l’ont élu pour leur assurer développement, progrès et bien-être, moyennant, notamment, des projets de développement économique, social, culturel et environnemental, des équipements et des services de proximité, et un espace de vie. Le conseil local peut le faire par ses propres moyens; il peut faire appel au concours et à l’appui des services de l’Etat, comme il peut s’appuyer aussi sur le partenariat en interne et au niveau international. La charte communale de 2009 reconnaît aux conseils locaux d’importantes attributions en lien direct avec toute la problématique du développement local. Et c’est une expérience phare dans le monde arabo-musulman. Avec le chantier de la régionalisation, le processus de la décentralisation est appelé à connaître un véritable saut qualitatif, en termes de vision stratégique au niveau territorial et de développement intégré. Le thème était «le renouveau de la gouvernance locale à la lumière de la nouvelle Constitution ». La présidente de la Cour régionale des comptes de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër et du Gharb-Chrarda-Bni Hssein a fait état d’un certain nombre de dérives et de connivences. Comment renforcer le contrôle et la transparence ? Il faudrait tout d’abord clarifier les responsabilités en matière de développement, et particulièrement de développement local : qui fait quoi ? La Constitution consacre un principe d’ordre général, celui de la subsidiarité, pour la répartition des compétences entre l’Etat et les trois catégories de collectivités territoriales. Il va falloir le traduire concrètement dans les textes juridiques concernant la décentralisation. La question de l’allocation des ressources est à prendre en compte aussi. Il faudrait faire en sorte que les collectivités territoriales soient des entités qui produisent de la richesse, de la valeur ajoutée et du progrès. Et c’est possible, moyennant l’ancrage de la bonne gouvernance, de l’éthique, des mécanismes de régulation et de contrôle et la reddition des comptes qui est le corollaire de toute responsabilité. Il faudrait enfin investir, au quotidien, dans le capital humain qui est le véritable vecteur de changement, de l’innovation et de la compétitivité. Investir dans les savoirs toutes catégories confondues : le savoir (métiers locaux et supports), le savoir-faire, le savoir-agir et le savoir-être, c’est la seule voie de l’excellence pour le processus de la décentralisation. «Les institutions ne valent que par ce qu’en font les hommes et les femmes» . Y a-t-il matière à espérance à la veille des prochaines élections locales et régionales? Le processus de la décentralisation qui a à son actif plusieurs décennies d’évolution, se construit, étape par étape, et chaque réforme entreprise par les pouvoirs publics prend le temps de mesurer et d’évaluer le chemin parcouru, avant d’entamer une nouvelle phase. Aujourd’hui, la nouvelle Constitution consacre le principe de la libre administration qu’il va falloir assumer, en termes de valeurs, de principes, de leadership, de vision, de gouvernance, de moyens et de gestion axée sur les résultats. Parmi ces résultats, les citoyennes et les citoyens sont en droit d’attendre de leurs élus le développement et le bien-être au niveau de leur espace de vie, ainsi que des services publics répondant (outre aux principes déterminés dans la Constitution) à leurs attentes, préoccupations et besoins spécifiques. Pensez-vous qu’un engagement massif en politique, notamment locale, permettrait aux femmes de peser davantage sur les décisions pour améliorer la vie quotidienne des citoyens ? Pour citer les propos d’une mairesse du Burundi, ayant pris part au 1er Forum des femmes élues locales d’Afrique, à Tanger en mars 2011, « lorsque les femmes s’impliquent dans la gestion des affaires locales, elles veulent apporter du changement». Je pense que la participation des femmes, aux côtés des hommes, est très importante, d’autant plus qu’on ne peut plus marginaliser la participation de la moitié de la société. Les femmes apportent une nouvelle façon de gouverner la chose publique au niveau local. Elles ont la possibilité d’être sur plusieurs fronts à la fois (responsabilités familiales, professionnelles et politiques), elles sont réputées pour être plus intègres et on s’accorde à penser qu’elles gèrent en « bonnes mères de familles ». Il faut aussi s’y préparer résolument. L’entrée des femmes en politique (car c’est de cela qu’il s’agit) doit être préparée, soutenue (le « quota » ou la discrimination positive, certes un passage obligé, ne suffisent pas) et accompagnée. Vous aviez organisé l’année dernière un grand forum africain à Tanger. Quelles en ont été les conclusions ? Lors de leur participation au Sommet d’Africités à Marrakech, en décembre 2009, les femmes élues locales d’Afrique ont recommandé la création d’un réseau qui leur soit propre. C’est chose faite grâce à l’organisation à Tanger, du 8 au 11 mars 2011, du 1er Forum des femmes élues locales d’Afrique. Cette manifestation a rassemblé les représentantes de 40 pays africains (les 14 pays restants n’avaient pas de femmes au niveau des instances locales). Durant 4 jours, ces femmes ont eu l’occasion de débattre de plusieurs problématiques les intéressant directement, tels que les défis du leadership féminin en Afrique, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), la bonne gouvernance, la représentativité politique des femmes, l’accès aux ressources, le renforcement des capacités, du leadership et du réseautage des femmes, les perspectives du développement, la transparence et l’intégrité dans la gestion locale, le partenariat et la coopération entre collectivités locales africaines. Ce forum a été l’occasion d’un brassage des cultures et des modèles, d’un échange des expériences, des mauvaises et des bonnes pratiques. Ce qu’il faut en retenir essentiellement, c’est la nécessité pour les femmes de surmonter les obstacles entravant leur accès à la sphère politique locale. Pour ce faire, il faut un changement complet dans le comportement des femmes concernant les postes électifs, ce qui suppose un changement radical dans la perception des femmes en politique, à commencer par la nécessité pour elles d’éviter de se considérer comme des acteurs mineurs dans la société. Le plus important, à cet égard, est l’autonomie économique des femmes, une condition sine qua non pour l’autonomisation des femmes. Voici les objectifs que le réseau s’est fixés : 1.Proposer des stratégies et des actions visant à mieux prendre en compte les préoccupations des femmes dans tous les domaines de la vie locale. 2.Promouvoir une meilleure participation des femmes à la vie politique locale et aux instances de gestion des collectivités territoriales. 3.Renforcer les capacités des femmes élues locales et développer le leadership féminin dans la gestion des affaires locales. 4.Porter la voix des femmes élues locales d’Afrique dans les instances de Cités et gouvernements locaux d’Afrique (CGLUA) et au sein de la Commission Femmes de l’organisation mondiale des Cités et gouvernements locaux unis (CGLU). 5.Consolider le travail en réseau des femmes élues locales à l’échelle panafricaine en favorisant les échanges d’expérience et l’apprentissage mutuel, y compris l’apprentissage par les pairs. Où en est-on quant au suivi des recommandations ? Le Bureau du Réseau des femmes élues locales d’Afrique a tenu sa première réunion en juin 2011 à Rabat, en marge des travaux du Bureau exécutif de Cités et gouvernements locaux unis (CGLU). Grâce à l’appui du PNUD et de l’ACDI, les membres du Bureau ont planché sur leur feuille de route et sur leur plan d’action pour 2011-2012. L’un des premiers acquis du Réseau africain, est d’avoir impulser et pousser à la création d’une Commission femmes au niveau du Réseau mondial des collectivités locales (CGLU), une traduction concrète de l’adage qui dit « Ce que femme veut, Dieu le veut ». Publié le : 21 Février 2012 - Farida Moha, LE MATIN


21/02/2012
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